samedi 24 mars 2007

Hermann HESSE - La guerre

Le Loup des Steppes a été publié en 1927, c’est-à-dire après la Première Guerre Mondiale. Il est important d’avoir en main cet élément afin de comprendre l’extrait qui va suivre.

Contexte de l’extrait : Hermine, une amis de Harry Heller, le loup des steppes, un fervent pacifiste, lui demande ce qu’il pense de ce que disent les journaux nationalistes à son égard, lorsqu’il donne son avis sur la guerre.

« Est-ce bien de toi qu’il s’agit ? demanda Hermine, en m’indiquant mon nom. Tu t’es fait là de beaux amis, Harry ! Ca t’ennuie ? »

Je lus quelques lignes, c’était comme d’ordinaire ; chacune de ces insultes m’étaient connue depuis des années jusqu’à la satiété.

« Non, dis-je, j’y suis habitué. J’ai exprimé plusieurs fois l’opinion que chaque peuple et même chaque homme en particulier, au lieu de se bercer par des « questions de culpabilité » politiques, hypocrites et faussées, devrait s’examiner lui-même pour savoir dans quelle mesure, par ses manquements, ses omissions, ses mauvaises habitudes, il est responsable de la guerre et de toute la misère du monde ; j’ai dit que c’était le seul moyen d’éviter peut-être une guerre prochaine. C’est cela qu’ils ne me pardonnent pas(ndr : les journaux nationalistes), car, bien entendu, ils sont tous innocents ; le Kaiser, les généraux, les grands industriels, les politiciens, les journaux, nul n’a rien à se reprocher, ce n’est de la faute de personne. On croirait que tout va on ne peut mieux dans le monde ; seulement, voilà, il y a une douzaine de millions d’hommes assassinés. Et, vois-tu, Hermine, même si ces insultes ne peuvent plus m’agacer, quelquefois, tout de même, elles m’attristent. Deux tiers de mes compatriotes lisent cette espèce de journaux, entendent ces chansons matin et soir ; de jour en jour, on les travaille, on les serine, on les traque, on les rend furieux et mécontents ; et le but à la fin de tout est la guerre, une guerre prochaine, probablement encore plus hideuses que celle-ci. Tout cela est simple et limpide, chacun pourrait le comprendre, s’il se donnait la pine d’y penser une heure. Mais personne ne le veut, personne ne désire échapper, ni pour lui ni pour ses enfants, à une nouvelle boucherie, s’il ne peut le faire qu’à ce prix. Réfléchir une heure, rentrer en soi un instant et se demander combien on est responsable de soi-même du désordre et de la méchanceté dans le monde , cela, nul n’y consent ! donc, tout se poursuivra comme toujours, et des milliers de gens préparent tous les jours avec zèle la guerre prochaine. Depuis que je le sais, je suis paralysé et désespéré, il n’y a plus pour moi de « patrie » et d’idéal, décors truqués, bons pour les messieurs qui travaillent à un nouveau massacre. A quoi bon penser, dire, écrire quelque chose d’humain, remuer dans sa tête ses des idées meilleures-pour deux ou trois hommes qui le font, il y a, jour après jour, des milliers de journaux, de discours, de séances publiques et secrètent qui recherchent et qui obtiennent tout le contraire! »

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