lundi 5 février 2007

Hermann HESSE, réflexion sur les suicidés

Un autre* était d'appartenir aux suicidés. Précisons cette expression : il est faux de n'appeler suicidés que ceux qui se suppriment réellement. Parmi ceux-là, il s'en trouve beaucoup qui, en quelque sorte, ne deviennent des suicidés que par hasard et n'ont pas nécessairement le suicide dans le sang. Parmi les hommes sans personnalité, sans empreinte puissante, sans destinée, il en est qui périssent de leur propre main, sans pour cela, de leur sceau et leur empreinte, appartenir au type des suicidés ; par contre, parmi ceux qui, par essence, appartiennent aux suicidés, beaucoup, la plupart même, ne suppriment pas la réalité. Le propre du suicidé – et Harry** l'était – n'est pas de se trouver forcément en relations constantes avec la mort, mais de sentir son moi, à tort ou a raison n'importe, comme un germe particulièrement dangereux, douteux, menaçant et menacé par la nature ; c'est de se croire toujours exposé au danger, comme s'il se trouvait sur la pointe extrême d'un rocher d'où la moindre poussée du dehors et la moindre faiblesse du dedans peuvent suffire à le précipiter dans le vide. On reconnaît ces hommes à une ligne de destin qui prouve que, pour eux, le genre de mort le plus vraisemblable est le suicide, du moins dans leur imagination. Cet état d'âme, qui se manifeste presque toujours dans leur première jeunesse et ne les quitte pas de toute leur vie, n'est pas conditionné par une trop faible vitalité ; au contraire, on trouve parmi les suicidés des natures extraordinairement tenaces, avides et même téméraires. Mais, de même qu'il est des tempéraments chez qui la moindre indisposition provoque la fièvre, de même, chez ceux que nous appelons suicidés et qui sont toujours infiniment sensibles et impressionnables, le moindre bouleversement provoque l'abandon à l'idée de la mort. Si nous avions une science possédant l'audace et le sentiment de responsabilité nécessaire pour s'occuper des hommes et non seulement du mécanisme des phénomènes vitaux, si nous avions quelque chose comme une anthropologie, comme une psychologie, ces faits seraient connus de tous.


Hermann HESSE, Traité du Loup des Steppes, 1927






Voilà encore un texte de Hermann Hesse avec lequel je suis en parfait accord.

vendredi 2 février 2007

dépoussiérage.

Ces écrits(ndr* : les manuscrits du loup des steppes), indépendamment de la réalité qui, peu ou prou, leur sert de base, sont une tentative de surmonter la grande maladie de l’époque non pas en la camouflant et l’enjolivant, mais en faisant d’elle l’objet même de la démonstration. Ils signifient, textuellement, une marche à travers l’enfer, marche tantôt hésitante, tantôt hardie, à travers le chaos d’un monde spirituel obscurci, marche entreprise avec la volonté de traverser coûte que coûte l’enfer, de tenir tête au chaos, de supporter le mal jusqu’au bout.

Un mot de Haller** m’a donné la clef de cette interprétation. Il m’a dit une fois, lorsque nous parlions des soi-disant cruautés du Moyen-Age : « Cette cruauté, en réalité, n’en est pas une. Un homme du moyen âge prendrait en horreur le ton de notre existence moderne, il le trouverait bien pire que cruel : exécrable et barbare. Chaque époque, chaque culture, chaque tradition possède son ton. Elle a les douceurs et les atrocités, les beautés et les cruautés qui lui conviennent. Elle accepte certaines souffrances comme naturelles, s’accommode patiemment de certains maux. La vie humaine ne devient une vraie souffrance, un véritable enfer, que là où se chevauchent deux époques, deux cultures, deux religions. Un homme de l’antiquité qui aurait du vivre au moyen âge aurait misérablement étouffé de même qu’un sauvage étoufferait dans notre civilisation. Mais il y a des époques où toute une génération se retrouve coincée entre deux temps, entre deux genres de vie, tant et si bien qu’elle en perd toute spontanéité, toute moralité, toute fraîcheur d’âme. Naturellement, chacun ne ressent pas cela avec la même intensité. Une nature telle que Nietzsche a dû, anticipant une génération, souffrir la misère dont nous souffrons à présent ; ce par quoi il a passé seul et incompris, des milliers le ressentent aujourd’hui . »

Hermann HESSE, préface du Loup des Steppes

Ce texte date de 1927, et est, encore aujourd’hui, d’actualité. Deux mondes se chevauchent toujours, créant ainsi incompréhension et intolérance dans chacun des camps. Ce texte, j’ai choisi de vous l’offrir, car il reflète exactement ma pensée ; ce texte est la vérité du pourquoi certaines personnes ne s’adaptent pas a notre société.



* ndr : note du recopieur

** haller est le loup des steppes, l’auteur des manuscrits



bientot, mise a jour de la radio blog!!!

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